L’art de la conversation familiale

Depuis que j’ai commencé à m’intéresser à la généalogie et aux histoires familiales, j’ai collecté un grand nombre de documents ayant appartenu à mes ancêtres, non seulement pour en prendre connaissance, mais aussi pour les numériser et ainsi les partager avec les membres de ma famille qui le désiraient. J’en ai fait des albums et des livres d’archives et de là est née ma vocation de passeuse d’histoire.
J’ai réalisé entre autre, le livre des Archives de Charles Monot, grand-père maternel de ma grand-mère paternelle, dont la vie de médecin et d’homme politique local avait laissé de nombreux documents qui étaient parvenus jusqu’à nous.


Alors que j’avais parlé de la réalisation de ce livre autour de moi, pensant avoir réuni l’ensemble des documents, papiers, photos qui pouvaient exister et que je pensais exhaustif, quelques minutes après avoir bouclé la commande j’apprenais au détour d’une conversation qu’il existait encore un exemplaire dans la famille de son ouvrage phare sur « l’Industrie des nourrices », ainsi qu’une coupure de presse mentionnant qu’il aurait procédé à son 6601ème accouchement.
Le plus étonnant dans l’histoire était le commentaire qui accompagnait pour moi cette révélation : « Ah bon? Tu l’ignorais? On ne t’en a jamais parlé ? On pensait que tu le savais ! « 


Partagée entre la joie de consulter et d’avoir entre les mains ce recueil que je ne trouvais nulle part, et l’agacement certain de ne pas avoir été avertie plus tôt de ce trésor, alors que je clamais haut et fort mon intérêt pour tout ce qui se rapporte aux ancêtres en général et à celui-ci en particulier, je me suis alors fait la réflexion qu’on n’interroge jamais assez ses proches, qu’il leur faut parfois du temps pour délivrer des infos qu’ils pensent évidentes. Et j’ai modifié mon livre d’archives.

Charles Monot - crédit photo Jourda

Le même épisode s’est reproduit pour l’une des personnes pour qui j’ai travaillé. Il s’interrogeait sur l’histoire de sa famille. Il avait maintes fois discuté avec sa mère qui lui répondait de manière évasive : « Tu sais, on ne sait pas très bien, ton grand-père a été blessé, avec la deuxième DB, mais je ne sais plus où… »
Chargée de collecter papiers et photos, d’agrémenter le tout de quelques recherches généalogiques, afin de bien ancrer les bonnes personnes aux bons endroits, j’ai réalisé pour lui le même type d’ouvrage. Il en offre un à sa mère, un autre à sa grand-mère. La grand-mère est très émue de revoir ainsi présentée une partie de sa vie, mais n’en raconte pas davantage. Même chose pour la mère.


Presque deux ans se passent jusqu’à ce que cette personne me recontacte pour me raconter que « Eurêka », après une longue discussion avec sa mère, durant laquelle il se reposait les mêmes questions concernant le parcours de son grand-père, lui disant qu’il allait faire de nouveau appel à mes services pour reconstituer toute l’histoire familiale, elle lui dit qu’elle est très étonnée qu’il n’ait rien trouvé dans la petite valise qui se trouve dans l’entrée de sa maison… Là aussi partagé entre la joie d’avoir accès à un trésor, et l’agacement de ne pas avoir eu l’information plus tôt, la personne en question a eu accès en ouvrant cette petite valise à tout un pan de l’histoire de son grand-père, photos et documents à l’appui. Sa mère était de bonne foi, elle pensait sincèrement lui avoir livré tout ce qu’elle savait.


Je suis désormais convaincue que les histoires et souvenirs familiaux s’entretiennent, s’alimentent. Il faut « nourrir » pour être « nourri ». C’est une conversation entre et sur les membres de la famille, les légendes qui les accompagnent qui n’est jamais terminée. Profitez du temps passé en famille pour parler, partager, évoquer : faites savoir vos centres d’intérêts, présentez vos recherches à vos proches ! Ne brusquez en rien les vieilles mémoires, mais suggérez ! Prenez le temps de la parole et peut-être le plus important, celui de l’écoute.

Cet article a 4 commentaires

  1. Cécile KZA

    Belle analyse ! J’ai remarqué le même phénomène depuis que je tiens un blog de généalogie : j’interroge mes grands-parents sur un sujet dont je veux parler : l’information peine à venir. Une fois que mon article est écrit et qu’ils le lisent, ils m’appellent pour me préciser une foule de détails sur l’histoire familiale !

    1. Un souvenir en entraîne un autre ; il faut du temps et de la patience car parfois un nouvel élément surgit au milieu d’une histoire répétée et répétée encore…Mais c’est ce qui fait le charme de tout récit familial !
      Merci du commentaire !

  2. Asavar

    Article très intéressant, on n’insiste jamais assez sur l’importance du questionnement … répétitif.
    On est quelques fois agacés, comme les deux exemples de cet article, et certaines fois on se réveille trop tard, les personnes sont parties … et les histoires avec.
    Certaines histoires coulent un peu plus facilement aussi lorsqu’elles sont un peu plus « légères », ma mère a toujours eu beaucoup de mal à me parler de son enfance et de son adolescence pendant la 2GM, nous sentions que c’était lourd. Je découvre aujourd’hui des choses qu’elle ne m’a jamais dite de son vivant.

    Merci pour cet article qui nous motive à toujours insister quitte à énerver un peu 🙂

    1. de la patience, encore et toujours et ne pas hésiter à relancer, avec douceur, faire préciser, parfois avec l’aide de photos ou de documents, même vus et revus ; la mémoire se manie avec précaution…
      merci de votre commentaire !

Laisser un commentaire